Vous êtes ici : Livres, textes & documents | Le développement de l'âme | Chapitre IV : Le Soi supérieur (2/2)

Le développement de l'âme

Alfred Percy Sinnett
© France-Spiritualités™






CHAPITRE IV :
LE SOI SUPÉRIEUR (2/2)

      Le Soi Supérieur exprime toujours un état de conscience élevé, si faible et peu intense soit-il au début ; puis lorsqu'il a germé successivement dans plusieurs incarnations, qu'il s'est assimilé toute l'expérience dont il est susceptible, son horizon s'étend, sa connaissance s'épanouit et son individualité s'affirme. Sa croissance normale paraît très lente, semblable ainsi à certaines opérations physiques de la Nature, comme l'accumulation des bancs de sable dans l'océan, ou l'agglomération des parcelles d'un récif de corail ; et cependant, au cours des temps les mers s'emplissent de sable et des îlots de corail surgissent du sein des eaux profondes. Le Soi Supérieur agit ainsi lorsqu'il choisit ses molécules spirituelles dans les innombrables rejetons qui l'ont représenté sur terre. Le plus grand Mahatma ou le Dhyan Choan le plus élevé est le produit final de ce long processus qui a dû se produire, à une certaine époque, aussi lentement que celui qui, aujourd'hui encore, élève graduellement le Soi Supérieur du sauvage sur l'échelle de la Nature, au moyen d'incarnations en apparence peu profitables.

      Il me semble que la théorie du Soi Supérieur ainsi comprise doit satisfaire l'esprit par son côté scientifique, car elle est en harmonie avec cette grandeur qui caractérise même les plus subtiles opérations de la Nature ; nous les symbolisons quelquefois par des allégories fantastiques et théâtrales, mais elles perdent toute trace de ce caractère lorsqu'on les voit sous leur véritable jour. Néanmoins, l'appréciation claire et scientifique de la vérité nous aidera à en discerner les fragments dans les diverses croyances, relatives à l'âme, successivement émises par différents penseurs. Ceux-ci, doués de facultés psychiques, avaient peut-être reçu quelque inspiration vraie, mais n'étant pas pratiquement entraînés dans la science ésotérique, ils furent portés à associer cette inspiration avec leurs idées préconçues, ou à la poétiser suivant le cas. Une école d'occultisme indépendante s'est ainsi groupée autour d'un voyant qui professe, au point de vue du développement de l'âme, la théorie dite des complémentaires, et y attache une grande importance. Selon lui, tout incarné n'est qu'un demi-être humain, l'autre moitié complémentaire est un être de l'autre sexe qui, suppose-t-il, attend sur un autre point du globe le mariage idéal et céleste qui doit les unir un jour. Sous sa forme primitive l'être complémentaire était aussi une personnalité humaine, un contemporain de l'un ou l'autre sexe, avec lequel une union dans cette vie était, après tout, chose possible ; mais depuis, cette théorie s'est épurée, et je crois qu'aujourd'hui on considère l'être complémentaire de l'homme ou de la femme comme habitant les Cieux. N'est-ce pas là une image défigurée de la doctrine du Soi Supérieur, moins les détails que nos guides ésotériques nous ont mis à même de recueillir ?

      Ce n'est que lorsque notre esprit est bien pénétré de la doctrine du Soi Supérieur que nous commençons à comprendre le but de l'existence terrestre, et en quelque sorte à nous adapter au courant de sentiments et d'émotions qui la dominent souvent. La vie, considérée comme complète en elle-même, ne justifie que trop fréquemment le morne désespoir du pessimiste ; et, en vérité, qu'elle soit un tout complet ou une expérience isolée, dans l'évolution d'un être, suivie d'une éternité bienheureuse ou malheureuse, la philosophie pessimiste serait l'inévitable conclusion à laquelle nous pousserait l'observation du phénomène vital tel qu'il se présente à nous. Mais si le développement du Soi Supérieur est le but vers lequel il faut tendre, nous reprenons intérêt à l'existence, et la souffrance peut s'expliquer. II est impossible actuellement, à la plupart d'entre nous, avec les perceptions ordinaires, de sentir l'identité du Soi Supérieur et du Soi inférieur ; mais une conception intellectuelle de cette vérité et de tout ce qu'elle peut implicitement suggérer nous fera entrevoir les hautes possibilités du Soi Supérieur et éclairera vivement le sentier où nous devrons marcher si nous sommes résolus à vivre en subordonnant entièrement le Soi inférieur aux intérêts réels du Soi Supérieur. Si nous exceptons les personnes très spiritualisées déjà dans leur nature terrestre, et douées d'une clairvoyance supérieure, on peut admettre, comme règle générale, que le Soi inférieur doit se résigner à supporter les souffrances de la vie pour le plus grand bien, non d'une autre personnalité, mais d'une partie de lui-même, dont il n'aura jamais conscience complète, dans son corps charnel ; mais, par contre, il peut tenir pour assuré que la conscience du Soi Supérieur saura plus tard lui procurer, en compensation de ces peines, une jouissance qui, pour sa vraie individualité, constituera la meilleure des récompenses.

      Faut-il rappeler ici l'axiome occulte que : l'intérêt de la récompense n'est pas le mobile le plus élevé de l'action ? Nous le savons presque tous, mais il nous est néanmoins intéressant d'étudier les moyens qu'emploie la Nature pour compenser des souffrances endurées dans un but de progrès moral.

      La solution du problème que nous cherchons est dans la réalisation de ce fait : Le Soi inférieur n'est pas conscient du Soi Supérieur, mais le Soi Supérieur l'est de son Soi inférieur, et le deviendra d'autant plus que ce dernier comprendra qu'il est de son devoir de vivre pour le Soi Supérieur. Ne perdons pas de vue cette théorie ou ce principe : la conscience des régions ou plans spirituels s'accompagne d'une sensation de joie intense, dont la somme est en proportion directe du développement, de l'épanouissement du Soi Supérieur, et c'est dans ce développement, dans cet épanouissement que se trouve la récompense des efforts réalisés sur terre par le Soi inférieur. Ceci nous paraît être un point important qui doit attirer notre plus sérieuse attention.

      La thèse un peu élémentaire qui consiste à assimiler le Soi Supérieur à l'Ange gardien, ainsi que celle trop ambitieuse qui veut l'identifier au Soi Universel, c'est-à-dire à Dieu, sont toutes deux erronées parce qu'elles nous en donnent en général une trop haute idée. Il y a encore parmi les incarnés des êtres humains très avancés, quoi qu'étant bien au-dessous du niveau spirituel des Mahatmas, et dont le Soi Supérieur est certainement un ange gardien des plus élevés, des plus conscients, doué d'une véritable intuition et dont la connaissance se rapproche, par sa nature, de l'omniscience. Mais on se tromperait fort en supposant une grande élévation aux Soi Supérieurs de la plupart d'entre nous. Contrairement à l'opinion générale, ils ne sont guère plus avancés que leurs Soi Inférieurs, au stade actuel de développement ; seulement leurs tendances sont toutes d'ordre purement spirituel. Ainsi, le Soi Supérieur d'un homme grossièrement sensuel est indifférent à toute sensualité. Il se trouve, dans une mesure très limitée, en contact avec les sources de la connaissance réelle qu'il possède au même degré qu'un Esprit Planétaire ; mais sur ce plan, qui est le sien propre, sa conscience se trouva, jusqu'à un certain point, imparfaite et endormie. C'est pourquoi ses jouissances, son aptitude à saisir les occasions de progrès que lui offrent ces hautes régions, dépendent alors absolument du Soi inférieur, au début surtout de la période de développement. Il ne peut s'élever sans prendre appui sur son unique soutien, son représentant matériel. Rappelons-nous néanmoins que s'il en est dépendant, il n'est pas inactif, car les actions du Soi inférieur contribuant au développement du Soi Supérieur ne s'accomplissent que par la pensée ou la suggestion de celui-ci. Nous développerons cette idée en disant que, pour son développement, le Soi Supérieur dépend de la réponse active que lui donne le Soi inférieur, c'est-à-dire des efforts de ce dernier pour obéir à l'influence exercée sur lui. L'initiative de ces actions et réactions réciproques qui conduisent au progrès de l'être est toujours prise par le Soi Supérieur, mais, tout bien considéré, il ne faut pas faire intervenir ici l'omniscience qu'on prétend quelquefois être latente en tout âme humaine. « Votre âme, nous disent certains occultistes, est omnisciente, et pour partager son savoir il vous suffit de vous unir à elle. » Cette doctrine, pour n'être pas fausse en soi, pourrait induire en erreur. On devrait dire plutôt : « Votre âme, c'est-à-dire votre Soi Supérieur, peut, avec le temps et si vous l'y aidez suffisamment, arriver à l'omniscience, ou à quelque chose d'approchant, ce sera l'œuvre de plusieurs existences, à partir de celle où vous aurez vous-même résolument pris l'initiative de cette tâche, » – c'est ici la phase terrestre de l'être que nous considérons. – Mais le Soi Supérieur d'un homme ordinaire de ce monde, dans l'acception ordinaire du mot, n'a certainement pas atteint son parfait développement ; il ne peut en être autrement, car en réfléchissant nous verrons que ce fait corrobore absolument certaines informations acquises depuis quelques années relativement à l'état dévakhanique. Ces recherches furent faites avec l'aide d'une haute autorité, et de quelques-uns de nos étudiants les plus avancés. Le dévakhan (11) n'offre pas à la majorité de ses habitants une connaissance très étendue de la vérité ; ils y trouvent plutôt un sentiment de bonheur infini dont l'intensité paraît proportionnée à l'avancement de l'âme qui l'éprouve, et auquel l'illusion prend une large part. Ce sont pourtant là les Egos Supérieurs des êtres humains actuels, jouissant de leur vie dévakhanique ; et, pour être arrivés à une certaine conscience sur ce plan, il faut même qu'ils aient éprouvé pendant leur vie terrestre des aspirations, des émotions spirituelles déjà très caractérisées.

      L'élévation graduelle de ces Egos jusqu'au type réel d'ange gardien peut être considéré (si pour l'instant nous ne regardons pas plus loin) comme le but, la raison d'être de notre existence terrestre. On remarquera combien cette conception est compatible avec la théorie qui attribue toutes les impulsions nobles et élevées de l'homme, quel que soit son avancement spirituel, aux avertissements ou à une direction émanant de son Soi Supérieur. En effet, dans la mesure de son activité, les aspirations du Soi Supérieur tendent toutes vers le bien, par leur nature et leurs affinités ; mais on aurait tort de supposer cette activité très supérieure à celle du soi inférieur. Le Soi Supérieur est dans une léthargie qui, au cours des âges, s'augmente par ses retours périodiques et multipliés sur le plan de la matière ; il ne pourra se servir de ses facultés latentes que lorsque son soi inférieur (son autre lui-même sur le plan physique) l'aura réveillé de sa torpeur par un effort conscient, analogue au rebondissement d'une balle lancée d'une grande hauteur sur le sol.

      L'ensemble de ces conceptions aura, je l'espère, préparé l'esprit à comprendre de quelle façon les peines méritoires de cette vie trouvent leur récompense. Le Soi Supérieur peut, proportionnellement à l'éveil de ses facultés, embrasser tout le processus que nous avons décrit. D'un coup d'œil rétrospectif, il embrasse simultanément la souffrance endurée et sa récompense, et voit ainsi que les efforts accomplis n'ont pas été perdus. Quand il est très peu développé et par suite incapable d'établir ce rapprochement, il se contente simplement de jouir du résultat des bonnes actions du soi inférieur, sans les analyser comme nous l'avons fait ; mais dans cette hypothèse, l'ego inférieur correspondant, aussi fort peu développé, ne sera troublé d'aucune spéculation métaphysique sur sa vie future. Il s'en rapportera sur ce point aux théories fictives de quelque religion exotérique, et quoique ces espérances ne s'accompliront pas à la lettre, leur essence, cependant, sera réalisée dans la félicité réflexe qu'éprouvera le Soi Supérieur ; c'est en réalité la même individualité, bien qu'il ne sache pas encore s'identifier avec ses diverses personnalités terrestres. Mais lorsque de nombreuses incarnations physiques, avec leurs périodes spirituelles intermédiaires, auront cultivé la conscience du Soi Supérieur jusqu'à le transformer presque en ange gardien, ses relations avec le soi inférieur se modifieront sensiblement. Le véritable Ego commencera non seulement à sentir, mais à penser sur son plan supérieur ; de plus en plus, il deviendra le pouvoir conscient, dirigeant, qui contrôle et influence les actions de son soi inférieur, parce qu'il aura reconnu l'avantage de leur commune association. Au point de vue métaphysique, cette idée pourrait s'exprimer dans un autre langage pour éviter certaines expressions trop matérielles, mais la signification en serait moins frappante. Nous pourrions par exemple dire que les deux aspects spirituel et physique de l'Ego réagissent l'un sur l'autre et que l'âme manifestée dans le monde phénoménal n'est que le complément illusoire du véritable Ego, et que l'absorption finale de ce dernier dans le Soi Universel est d'autant plus retardée que sa conscience physique est plus attachée au plan de Maya (12). Mais je pense rendre mon développement plus intelligible à la plupart de mes lecteurs (encore incarnés sur ce plan de Maya) en me servant d'un langage plus en harmonie avec les conditions de la conscience physique.

      Il faut comprendre que je ne représente pas ici le Soi Supérieur comme surveillant en tous temps l'inférieur, et toujours en éveil sur les fautes de son protégé ; cette idée approche pourtant de la vérité s'il s'agit d'êtres très développés, car la spiritualisation du soi inférieur rend le Supérieur d'autant plus incessamment conscient. Mais je prétends que dans les conditions ordinaires de la vie humaine, il est toujours plus ou moins assoupi sur son plan lorsque le soi inférieur se trouve à l'état de veille ; il ne devient conscient de son rang dans la Nature, de ses relations avec le soi inférieur et des efforts qu'a pu accomplir sa personnalité complémentaire (pour varier nos termes), que lorsque cette personnalité est elle-même endormie sur le plan physique d'un sommeil spontané ou artificiel. Il faut poser ici une clause conditionnelle. Sommeil et réveil sont les termes les plus appropriés aux états alternatifs du Soi Supérieur pendant la vie physique, mais il faut se rappeler que sa conscience ne sommeille que sur le plan supérieur ; l'influence qu'il exerce sur la personnalité incarnée n'en est affaiblie en rien. Ce qu'on appelle la voix de la conscience qui s'impose, et que les êtres mêmes les moins spiritualisés entendent à de rares intervalles, n'est autre que l'influence du Soi Supérieur qui s'affirme ; faible et incomplète encore lorsque le soi inférieur ne vient pas la fortifier, l'augmenter par une action réflexe. Mais en cherchant à comprendre, pour ainsi dire, cette oscillation du centre de conscience entre les plans supérieur et inférieur, il ne faut pas oublier que le Soi Supérieur reste toujours la source des meilleures impulsions du soi inférieur.

      L'Ego en état de veille sur le plan physique est, normalement, comme nous l'avons dit, tout à fait inconscient de ses périodes d'existence spirituelle ou hyperphysique ; c'est-à-dire qu'il ignore l'existence de son Soi Supérieur, bien que celui-ci une fois éveillé sur le plan supérieur soit parfaitement conscient de sa personnalité inférieure, des efforts qu'elle peut faire, ou de son inaction, selon le cas. Jusqu'à quel point peut-il, avec connaissance de cause, déplorer les insuccès du soi inférieur dans la voie du progrès, ou se désoler de le voir succomber à la tentation ? Ceci fera l'objet d'une étude à part. Le Soi Supérieur peut, par suite de ses conditions d'existence, se trouver incapable d'éprouver un sentiment de regret ou d'anxiété. Les insuccès, les fautes du Soi inférieur peuvent se transformer pour lui en un retard dans l'évolution, et avec la patience inaltérable qui le caractérise, il pourra n'en éprouver consciemment aucun dépit. Néanmoins, chaque succès, chaque victoire sur les tentations remportés par le soi inférieur se traduiront toujours par un progrès du Soi Supérieur qui en éprouvera une joie et une félicité dont il aura pleine conscience.

      A première vue, ces conceptions paraîtront peu consolantes aux imaginations vives, du moins en ce qui concerne les intérêts de la personnalité. En effet, toutes ces luttes, toutes ces souffrances, elle les endure au profit d'un Etre qui lui semble presque un étranger, un maître impitoyable et sans reconnaissance même, qui récolte seul le fruit des labeurs de son esclave incarné. Calme, impassible, dans les régions sereines de l'esprit, le Soi Supérieur n'existe que pour jouir des fruits (s'il y en a) des moissons récoltées ici-bas, mais il reste indifférent lorsque le pauvre travailleur fléchit et tombe épuisé sous un fardeau trop lourd pour ses forces ! Une pareille association serait vraiment bien peu équitable, bien peu satisfaisante si les deux phases de l'Ego étaient deux entités aussi distinctes qu'elles le paraissent à nos perceptions physiques ; mais l'ordre des choses se rétablit aussitôt que nous acquérons la conviction qu'au point de vue spirituel on voit et on sent que la personnalité et le Soi Supérieur ou Individualité n'ont qu'un seul et même centre de conscience fonctionnant alternativement dans l'un et dans l'autre. Mais, dira-t-on, comment obtenir la preuve de cette théorie si importante ? Dans ce royaume de la pensée, que nous explorons ici, il est presque superflu d'ajouter que chacun ne peut chercher cette preuve qu'au fond de sa conscience intérieure, reflet plus ou moins obscurci du Soi Supérieur ; il me semble pourtant que la « logique si satisfaisante » de cette théorie peut lui servir de garantie provisoire. Nous sommes encore en face de l'éternel problème de la vie : les dures épreuves de l'existence, et la nécessité de les concilier, d'une façon quelconque, avec le progrès général de l'humanité vers la perfection, et aussi avec une loi de la Nature qui conduirait au triomphe ultérieur de la Justice. La donnée théosophique nous a permis d'ajouter bien des détails absolument précis aux principes fondamentaux de la doctrine ésotérique, qui déjà avaient excité l'intérêt de nos contemporains. Les manifestations alternantes de l'Ego sur les plans physique et spirituel de la Nature nous conduisent, par un enchaînement logique, à la doctrine du Soi Supérieur que nous avons exposée ; celle-ci à son tour nous amène, par une suite de déductions raisonnables, à un sujet plus élevé encore, celui de l'évolution du Soi Supérieur, qui forme l'objet de notre étude actuelle.

      Par la connaissance des lois qui gouvernent l'évolution du Soi Supérieur, nous arriverons au but le plus intime de l'étude ésotérique. On ne saurait s'exagérer l'importance de ce sujet qui, s'il est bien compris, aura une influence prépondérante sur notre manière de vivre, notre conduite, et la façon dont nous supporterons dans « notre personnalité inférieure » les épreuves de l'existence terrestre de quelque nature qu'elles soient. Les religions nous assuraient qu'une vie méritoire, en dépit des obstacles rencontrés, nous préparait une récompense après la mort ; cet espoir vague est aujourd'hui remplacé par l'aperçu spécifique, scientifique même de la façon dont ce processus s'accomplit.

      Cette méthode s'harmonise d'ailleurs avec toutes les vérités spirituelles qui nous sont parvenues jusqu'ici ; et, en conséquence, il en résultera, pour celui qui l'adopte, un adoucissement considérable pour les pénibles émotions de la vie, et pour ce sentiment du néant de l'existence, sentiment si bien connu de ceux qui cherchent résolument le sentier du développement. La vague promesse d'une absorption finale de la conscience dans la Conscience infinie, en récompense des épreuves de la vie, ne saurait satisfaire l'esprit de l'homme, et encore moins celui de l'occultiste, toujours plus spéculatif et inductif ; ce n'est pas non plus une compensation strictement équitable, étant donnée la longue suite des existences physiques. Quelques personnes très élevées pourront rester indifférentes à la question de compensation, ou, du moins, se croire indifférentes jusqu'au jour où quelque changement subit, les éprouvant d'une façon inattendue, les obligera à constater, en leur for intérieur, combien elles participent encore à la faiblesse humaine. D'ailleurs, ces mêmes personnes ne sauraient souhaiter à l'humanité une aussi triste destinée, faite de labeurs et d'épreuves sans compensation aucune. Que chacun d'entre nous oublie ses propres intérêts, ne songe qu'à son frère, et il conviendra forcément que le problème de la Nature ne sera vraiment résolu que lorsque nous aurons pu attribuer au mérite sa juste récompense.

      Bien que, dès le début de la théorie que j'expose, cette récompense soit garantie, il ne s'ensuit pas qu'elle doive être appréciée également. Si le Soi Supérieur était toujours omniscient, comme semblent le croire quelques occultistes, et si le progrès ne consistait que dans les efforts du soi inférieur pour s'élever au point d'être avec lui en relations conscientes, cette personnalité serait souvent déçue dans ses espérances, car dans un grand nombre de cas, leur union ne peut s'accomplir. Chercher à bien vivre sur terre serait donc un effort pénible et stérile, compensé tout au plus par un bon Karma qui porterait ses fruits dans la vie suivante. Celle-ci pourrait alors s'écouler sous la tutelle du Soi Supérieur toujours impassible ; la nouvelle personnalité n'y subirait plus de dures épreuves, mais elle perdrait le souvenir des luttes passées qui, par comparaison, auraient intensifié pour elle les joies de l'existence présente. Sans l'évolution du Soi Supérieur qui profite directement du fruit de ces luttes, cette situation tendrait à justifier l'objection qu'on oppose à la doctrine de la réincarnation, c'est-à-dire l'oubli de la vie précédente. Mais il faut se placer au point de vue des occultistes d'un avancement moyen, qui savent déjà ce qu'il en est ; l'homme, bien qu'incapable en sa conscience physique de percevoir la récompense de ses bonnes actions et de son abnégation, saura du moins qu'il est sûr d'en récolter lui-même les fruits lorsqu'il renaîtra à l'existence spirituelle. Dans son corps charnel, il peut être inconscient des émotions, de l'expansion apportées à son Soi Supérieur par ses actes ; mais son Soi Supérieur en sera conscient lorsque du plan spirituel il jettera un regard sur l'ensemble de ses existences. Sans vouloir exagérer ni matérialiser les choses, mais en les adaptant simplement à notre état de conscience actuel, nous pouvons admettre que le Soi Supérieur se dira : « Si, dans l'entourage physique où j'étais incarné, je n'avais pas eu la force de caractère d'agir de telle ou telle façon, je ne jouirais pas aujourd'hui d'un bonheur spirituel aussi intense. » Pour considérer la position sous tous ses aspects, prenons un exemple dans la vie pratique.

      Supposons le cas d'un homme parti, dès sa jeunesse, pour chercher fortune à l'étranger. Résolu à amasser le plus d'argent possible, il se refuse toute dépense, toute jouissance inutiles, conservant précieusement son pécule pour l'emporter dans sa patrie. Il ne sait pas au juste dans quelles circonstances il se trouvera lors de son retour, ni quel emploi il pourra faire chez lui de ses économies. Mais l'idée seule de dépenser au milieu des siens le fruit de son labeur est déjà pour lui une compensation suffisante aux.travaux, aux sacrifices de sa jeunesse. Ainsi devons-nous concevoir dans un sens bien plus élevé et plus glorieux, le tableau des luttes terrestres et de leur récompense spirituelle non sujette aux risques qui, trop souvent sur terre, brisent dans nos mains la coupe du bonheur. Il faut bien que nous pressentions la récompense que doit remporter l'homme qui a bien rempli son rôle dans le drame de la vie ; sans quoi l'existence ne serait qu'une tragédie sans sanction.

      Je n'ai pas cru nécessaire d'envisager ici comme partie intégrante des desseins de la Nature, la possibilité pour nous d'atteindre, même durant cette vie, à quelque chose de plus qu'une conviction purement intellectuelle de la récompense que nos luttes ici bas nous préparent sur le plan spirituel ; si les circonstances sont propices, nous pourrons obtenir ce résultat en cherchant, par des efforts conscients et bien dirigés, à comprendre pleinement, dès cette vie, le système que nous venons d'exposer. Cette importante considération ne saurait être passée sous silence dans l'énoncé de notre théorie, et il est bon de prendre note de la possibilité à laquelle je fais allusion. Il peut se rencontrer parfois des êtres qui, n'étant guère au dessus de la moyenne de notre race humaine, possèdent néanmoins le merveilleux don de clairvoyance spirituelle. Ceux-ci pourront de temps à autre s'élever et prendre contact avec leur Soi Supérieur, puis rapporter dans leur cerveau physique l'empreinte de cette expérience. Ces hommes seront les pionniers de leurs frères moins bien doués, car ils rendront témoignage de la communication possible entre le Soi Supérieur et le soi inférieur. Ce précédent est en outre de nature à encourager les hardis explorateurs du plan supérieur ; ceux-ci pourront alors espérer que d'autres aussi, par de sérieux efforts dans la même voie, arriveront à une connaissance anticipée de ce qu'on a regardé jusqu'ici comme l'insoluble et solennelle énigme de la mort.

      En exposant ces problèmes, j'ai surtout désiré éviter cette incertitude de la pensée, si vague et si pénible, qui nous envahit lorsque nous nous efforçons d'examiner nos conditions d'existence actuelles au point de vue de cette science métaphysique, qui cherche à se fondre dans l'infini. Je me suis donc confiné de préférence dans des formes de pensée moins élevées que les hauteurs où nous entraîne le plus souvent ce genre de spéculations. Je ferai pourtant remarquer qu'en nous occupant de l'attraction existant entre le soi inférieur et l'Ego, c'est-à dire le Soi Supérieur, nous traitons par cela même des circonstances par lesquelles la véritable individualité (qui est baignée par les rayons de l'esprit à la façon dont lui-même rayonne sur l'homme incarné) est elle-même attirée par la plus haute des influences, celle du Soi Universel ou Esprit Universel. Au point actuel de notre avancement, nous ne pouvons rien présager sur cette opération ; mais nous en pouvons déduire avec certitude ceci : L'évolution du Soi Supérieur qui dépend du soi inférieur, c'est-à-dire de l'homme lui-même, n'est autre que sa réponse à la mystérieuse émanation du Suprême ; cette évolution est en outre le but final vers lequel tendront, dans un avenir encore lointain, tous les efforts conscients d'une humanité perfectionnée.


__________________________________________________________________________________________________
(11)  Prononcer : Dévakane.

(12)  Maya veut dire : illusion, notre terre est souvent considérée commele plan de l'illusion. N. D. T.




Site et boutique déposés auprès de Copyrightfrance.com - Toute reproduction interdite
© 2000-2024  LB
Tous droits réservés - Reproduction intégrale ou partielle interdite

Taille des
caractères

Interlignes

Cambria


Mot de passe oublié
Créer un compte LIVRES, TEXTES
& DOCUMENTS